La naissance de l'écriture
par Remo Mugnaioni, Maître de Conférences à l’Université d’Aix-Marseille, Docteur en linguistique, UFR ERLAOS, IREMAM, MMSH.
Les conditions et les mécanismes qui présidèrent à l'apparition de l'écriture à la fin du IVe millénaire avant notre ère sont généralement tenus pour acquis : avant de devenir un outil au service de la transcription de la langue, l'écriture aurait été un simple système d'enregistrement, une sorte d'aide-mémoire à l'usage de quelques scribes dont la seule préoccupation était de conserver la trace d'opérations comptables toujours plus nombreuses et plus complexes, inhérentes à la gestion des premiers grands centres urbains. Depuis quelques années, une telle approche des choses doit être nuancée, voire corrigée. Il n'est plus possible, en effet, d'accepter l'idée d'un glissement d'une écriture des choses vers une écriture des mots. Bien loin de se limiter à un système primitif associant des réalités concrètes à des nombres, elle révèle dès ses débuts l'étroitesse des ses rapports avec la langue et ses implications cognitives dans un vaste mouvement de pensées du monde au sein duquel elle se comprend elle-même comme un objet.
Les plus anciennes sources, constituant à ce jour un corpus d'un peu plus de six mille tablettes, attestent l'existence de trois grands types de documents : des listes lexicales, où sont énumérées les réalités du monde matériel mis à la disposition des scribes ; des documents à caractère gestionnaire, de loin les plus nombreux, où l'on retrouve les traces de l'administration et du fonctionnement des grandes structures économiques et enfin quelques rares tablettes “scolaires” qui témoignent, dès l'origine, de l'existence d'une instance formatrice des scribes.
Si les conditions de cette invention trouvent toujours leur fondement dans l'essor des premières grandes cités entre 3700 et 3100 avant notre ère, ainsi que dans le développement des réseaux interurbains qui ont entraîné un accroissement de la complexité des opérations comptables liées aux nouvelles dimensions de l'économie ; dès ces premières manifestations, l'écriture apparaît comme un système fortement uniformisé et normalisé, déjà doté de toutes les caractéristiques qui seront celles de l'écriture cunéiforme mésopotamienne lors des millénaires suivants. Ces caractéristiques ainsi que les traces de l'existence d'une dimension théorique, dont témoignent certains choix de signes, plaident fortement en la faveur d'une invention mise au point par un petit nombre d'individus sur un laps de temps relativement court.
18 окт 2020
