LE CHEMIN DE RONDE. Le prieuré de Serrabone, fondé au début du XIe siècle, est situé dans le département des Pyrénées-Orientales, à une trentaine de kilomètres de Perpignan, dans le massif des Aspres sur les contreforts orientaux du massif du Canigou. Il est situé dans un paysage sauvage et d'une grande beauté (à proximité des gorges du Boulès), et demeure encore aujourd'hui d'accès difficile.Il est surtout connu pour sa magnifique tribune en marbre, datée du XIIe siècle et considérée à juste titre comme l'une des plus belles réalisations de l'art roman nous étant parvenues.
L'église actuelle est formée par la nef de l'église antérieure (celle de la mention de 1069), à laquelle fut adjoint un collatéral, un transept, une galerie de cloître et les absides lors des travaux d'agrandissement du XIIe siècle. C'est cet édifice, consacré en 1151, que l'on peut voir aujourd'hui. Cependant, toute la partie occidentale, effondrée au début du XIXe siècle, a été refaite dans les années 1950-1960. Au chevet, les deux absidioles du transept ne sont pas visibles car intégrées au massif de l'édifice, par contre l'abside centrale est bien visible. La nef est voûtée en berceau brisé et le collatéral en demi-berceau. Les deux vaisseaux communiquent entre eux par deux arcades percées dans le mur les séparant (mur faisant partie de l'édifice du XIe siècle). Les trois absides sont voûtées en cul-de-four. Il reste peu de choses de la décoration intérieure en dehors de la tribune, si ce n'est des traces de fresque sur le mur sud de la nef.
Le cloître est accolé au côté sud de l'église, et ses arcades ouvrent sur le ravin à proximité du prieuré. Un petit jardin est ménagé à son pied sur une terrasse qui soutient le prieuré. Ses arcades sont ornées de belles colonnes et de beaux chapiteaux en marbre. Le motif du lion est récurrent dans la sculpture romane du Roussillon. Les lions se suivent, s’affrontent ou s’adossent suivant un rythme ornemental semblablement asservi à l’architecture. Les têtes sont particulièrement soignées et se ressemblent avec leurs gueules frangées, leurs dents acérées, leur langue épaisse, leurs crinières nattées. Des trous pratiqués à l’aide d’un trépan accentuent le relief, renforcent l’expression. Les yeux reçoivent des inclusions de plomb, peut-être de verre.
La tribune proprement dite est une plate-forme en schiste qui mesure 5m60 sur 4m80. Elle s’élève à 3m10. Les chanoines y accèdent par un escalier pour s’adresser aux paroissiens. Une balustrade borde l’estrade. Accrochée aux murs de la nef, la tribune s’appuie côté chœur sur un mur percé d’une porte en marbre. Des colonnes et des piliers la soutiennent, portant six voûtes d’arêtes. L’espace sous la tribune est divisé en trois par une extraordinaire forêt de marbres. Le vaisseau central s’ouvre sur le chœur. Au fond des vaisseaux latéraux aveugles, un décor reproduit deux arcades. Les croisées d’ogives qui doublent les arêtes n’ont qu’une fonction décorative.
Sur les chapiteaux, le bien et le mal s’affrontent. Des lions occupent les angles des chapiteaux, des aigles, et d'autres animaux fantastiques peuplent cet univers étonnant. Ils se dressent sur leurs pattes postérieures et leur tête s’unit à celle de l’animal voisin. Les énormes gueules qui surgissent peuvent faire illusion, mais les corps sont saisis dans des poses de convention et fixés comme élément ornemental. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces œuvres ont avant tout une fonction symbolique : canaliser le caractère vulnérable et ombrageux des hommes.
La façade de la tribune reprend dans son décor les symboles chrétiens tirés du texte de l'Apocalypse, placés dans les écoinçons des arcs. À l'extrémité, deux séraphins aux mains ouvertes, leurs ailes couvrant leurs corps. Le lion symbole de Saint Marc est placé à côté de l'aigle de Saint Jean. À l'opposé, le taureau symbole de Saint Luc, avoisine l'homme ailé de Saint Mathieu. Ces quatre représentations entourent l'image du Christ, représenté sous les traits de l'Agneau divin disposé dans une mandorle. Autour de ce message, un décor végétal varié, de palmettes, de roses à quatre pétales et de rinceaux occupe la surface. Une différence de qualité est à relever, entre l'aigle et le lion, d'une part et le taureau et l'homme, d'autre part. Cette remarque est également valable pour les sculptures des deux piliers soutenant la façade. Ils partagent cependant une même composition et des sujets voisins, un peu énigmatiques.
Ce qui marque le plus ici c'est le nombre et la qualité des sculptures sur marbre concentrée en un si petit lieu. La tribune de Sarrabone est incontestablement l'une des plus belles réalisations des artistes romans roussillonnais en Pays Catalan.
26 дек 2019
