Monologue de Médée 

Sarah Philippin, accompagnée par Naoko Hirata, interprète le "Monologue de Médée" de Michel Bosc.
TEXTE :
"J’aime… J’aimais… J’aime Jason. J’ai du sang sur les mains par sa faute : j’en vois la trace. Ce sang que j’ai versé, qui n’a servi qu’à lui, est retombé sur moi. Il me colle au visage. Le sang du crime et le sceau du malheur…
Oui, j’ai tué plusieurs fois ! Sans une hésitation, sans un remord. On l’acclame en héros, on me hait en sorcière : tant pis. C’est bien ainsi, qu’on aime : Tout donner, tout risquer, tout perdre, aussi, pour l’autre ! J’étais heureuse, alors… Aujourd’hui, qu’en est-il ?
Jason ne m’aime plus… La princesse Créüse a su le retenir. De sa présence, encore, sa couche est chaude et moite. Osant me croire dupe, il prétend ne chercher que l’amitié du roi Créon. Et moi, je reste là, écoutant sans rien dire, sans plus trouver les mots pour lui dire… Pour lui dire… Pour lui dire : reviens ! Ne foule pas aux pieds mes sentiments pour toi ! Ne suis-je qu’un moment, dans ta vie ? N’ai-je pas tout brisé, tout rompu, tout corrompu pour toi ? Ai-je balancé pour décider si, oui ou non, tu scellais mon destin ?
As-tu donc oublié ces mots échangés à voix basse, cette étreinte infinie qui unissait nos cœurs, ces baisers consacrés qui bénissaient nos âmes ? Tout cela, à présent, souillé par le mensonge, n’existe plus, pour toi ?
Que suis-je pour toi, à présent ? Peut-être un souvenir, plus sûrement un poids. Pendant que je t’attends, à murmurer ton nom, à prier pour ton âme et à bénir tes jours, ai-je donc oublié qui j’étais ? Moi, qui descends du soleil, redoutée des mortels, la terrible Médée ? Faut-il être stupide, aveuglée ou malade ! Pourquoi se consumer, quand les rayons de mon aïeul calcinent l’univers ? Il n’y a plus d’espoir, ne désespérons plus.
Créüse, enfant trop vaniteux, brûlera comme herbe sèche. Le roi son père, incitant à l’exil en bombant la poitrine, mourra. Tel est le juste prix de la duplicité : j’ai parlé !
Quant à Jason, qu’il voie les entrailles fumantes de sa princesse ! Ce corps qu’il désirait, cette peau qu’il baisait, qu’il les voie calcinés et noircis, informes et puants ! Que n’aura-t-il envie de mieux les caresser !
Mais ce n’est pas assez pour payer ma douleur. Je sais combien cette pensée… Mes enfants… Nos enfants… C’est ma chair, avant tout ! Mais enfin… Avoir une mère haïe de Colchide à Iolchos, de Iolchos à Corinthe, « Médée » signifie mort, crime et sorcellerie ! Quant à leur père ? Un parjure, un ingrat qui pense, en me mentant, apaiser mon courroux, endormir ma défiance, trahir mes sentiments. Leur abréger la vie, leur épargner la honte… Le voir, face aux cadavres de ses propres fils, et le laisser en vie ! Plus rien ne me lierait à lui. Il n’existerait plus, comme un rêve funeste oublié au matin, un nuage léger dissipé par l’aurore. Etre libre de lui, être libre de nous, redevenir moi-même !
Oh, mais pourquoi m’as-tu trahie ? Qu’ai-je fait ou omis pour perdre ton amour ? Aime moi, Jason ! Aime moi, ou sinon…."