𝔸𝕟𝕒𝕝𝕪𝕤𝕖 𝕔𝕠𝕞𝕡𝕒𝕣𝕖́𝕖 𝕖𝕟𝕥𝕣𝕖 𝕞𝕪𝕤𝕥𝕚𝕢𝕦𝕖 𝕕𝕦 𝕣𝕖𝕥𝕠𝕦𝕣 𝕒̀ 𝕝'𝕚𝕟𝕔𝕣𝕖́𝕖́ 𝕔𝕙𝕖𝕫 𝕄𝕒𝕚̂𝕥𝕣𝕖 𝔼𝕔𝕜𝕙𝕒𝕣𝕥 𝕖𝕥 𝕞𝕪𝕤𝕥𝕚𝕢𝕦𝕖 𝕕𝕖 𝕝𝕒 𝕕𝕖́𝕔𝕣𝕖́𝕒𝕥𝕚𝕠𝕟 𝕔𝕙𝕖𝕫 𝕊𝕚𝕞𝕠𝕟𝕖 𝕎𝕖𝕚𝕝 On sait que Simone Weil était une lectrice de mystique rhénane : elle mentionne Maître Eckhart une fois dans les Lettres au Père Perrin (évoquant en lui un «𝒂𝒖𝒕𝒉𝒆𝒏𝒕𝒊𝒒𝒖𝒆 𝒂𝒎𝒊 𝒅𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖») et le cite à plusieurs reprises dans La Connaissance surnaturelle, dont une fois pour lui emprunter nommément le concept d'𝖎𝖓𝖈𝖗𝖊́𝖊́ qui, me semble-t-il, est un concept incontournable pour appréhender sa mystique de la 𝖉𝖊́𝖈𝖗𝖊́𝖆𝖙𝖎𝖔𝖓. Aussi me permettrai-je ici de développer le parallèle entre ces deux auteurs. Que ce soit chez Maître Eckhart ou Simone Weil, on retrouve l'idée que l'𝖊𝖝𝖎𝖘𝖙𝖊𝖓𝖈𝖊 n'est qu'un ersatz dégradé d'𝖊̂𝖙𝖗𝖊 - et, au fondement de cette idée, la distinction opérée entre le caractère relatif, fini, temporel et périssable de toute existence particulière donnée sous telle ou telle forme différenciée, et le caractère absolu, infini, éternel et immortel de l'être saisi dans son indifférenciation primitive et universelle. Mais ce n'est pas sur ce fond métaphysique commun que je souhaite porter ici mon attention. Somme toute, cette distinction est on ne peut plus classique dans l'histoire de la philosophie et, sous une forme ou sous une autre, on en trouve des équivalents chez Parménide, Platon, Plotin, Augustin, Avicenne, Freiberg, Fichte, Schopenhauer, Hegel, Heidegger, etc. Où je veux en venir, c'est à cette mystique de la décréation commune à Weil et à Eckhart, et aux similitudes frappantes qu'elle me paraît produire jusque dans la pratique spirituelle, dans le rapport à Dieu ou au prochain. [𝕊𝕦𝕚𝕥𝕖 𝕖𝕟 𝕣𝕖́𝕡𝕠𝕟𝕤𝕖 𝕒̀ 𝕔𝕖 𝕔𝕠𝕞𝕞𝕖𝕟𝕥𝕒𝕚𝕣𝕖, 𝕡𝕠𝕦𝕣 𝕣𝕖𝕤𝕡𝕖𝕔𝕥𝕖𝕣 𝕝𝕖 𝕟𝕠𝕞𝕓𝕣𝕖 𝕞𝕒𝕩𝕚𝕞𝕒𝕝 𝕕𝕖 𝕔𝕒𝕣𝕒𝕔𝕥𝕖̀𝕣𝕖𝕤 𝕒𝕦𝕥𝕠𝕣𝕚𝕤𝕖́𝕤]
Une première similitude, par exemple, se situerait dans ce passage du sermon où Eckhart explique que l'idée de Dieu dans la pensée fait obstacle à l'union entre notre être et l'essence divine d'où nous sommes issus, et que de là, elle empêche son «𝒂𝒄𝒕𝒊𝒗𝒊𝒕𝒆́ 𝒑𝒖𝒓𝒆» qui, dans l'homme, prend la forme d'une activité d'amour et de connaissance. Comment ne pas songer à ce passage des Formes de l'amour implicite de Dieu où Simone Weil pointe qu'au moment d'aimer notre prochain, la pensée de Dieu est une pensée impudique et importune, qui empêche l'activité d'amour véritable car alors le prochain n'est plus aimé pour lui-même mais réduit à n'être qu'un moyen interchangeable en vue du lien que l'on souhaite établir entre soi et Dieu ? «𝑰𝒍 𝒚 𝒂 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔, écrit-elle, 𝒐𝒖̀ 𝒆𝒏 𝒓𝒆𝒈𝒂𝒓𝒅𝒂𝒏𝒕 𝒍𝒆𝒔 𝒄𝒓𝒆́𝒂𝒕𝒖𝒓𝒆𝒔 𝒊𝒍 𝒏𝒆 𝒇𝒂𝒖𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒑𝒆𝒏𝒔𝒆𝒓 𝒆𝒙𝒑𝒍𝒊𝒄𝒊𝒕𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒂𝒖 𝑪𝒓𝒆́𝒂𝒕𝒆𝒖𝒓. 𝑫𝒂𝒏𝒔 𝒄𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒍𝒂 𝒑𝒓𝒆́𝒔𝒆𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒆𝒏 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒂 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒄𝒐𝒏𝒅𝒊𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒖𝒏 𝒔𝒆𝒄𝒓𝒆𝒕 𝒔𝒊 𝒑𝒓𝒐𝒇𝒐𝒏𝒅 𝒒𝒖'𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒔𝒐𝒊𝒕 𝒖𝒏 𝒔𝒆𝒄𝒓𝒆𝒕 𝒎𝒆̂𝒎𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒏𝒐𝒖𝒔. 𝑰𝒍 𝒚 𝒂 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒐𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒐𝒖̀ 𝒑𝒆𝒏𝒔𝒆𝒓 𝒂̀ 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒔𝒆́𝒑𝒂𝒓𝒆 𝒅𝒆 𝑳𝒖𝒊. 𝑳𝒂 𝒑𝒖𝒅𝒆𝒖𝒓 𝒆𝒔𝒕 𝒍𝒂 𝒄𝒐𝒏𝒅𝒊𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒅𝒆 𝒍'𝒖𝒏𝒊𝒐𝒏 𝒏𝒖𝒑𝒕𝒊𝒂𝒍𝒆.» Et dans La pesanteur et la grâce : «𝑳𝒂 𝒔𝒂𝒊𝒏𝒕𝒆𝒕𝒆́ 𝒅𝒐𝒊𝒕 𝒅𝒐𝒏𝒄 𝒂𝒖𝒔𝒔𝒊 𝒆̂𝒕𝒓𝒆 𝒄𝒂𝒄𝒉𝒆́𝒆, 𝒎𝒆̂𝒎𝒆 𝒂̀ 𝒍𝒂 𝒄𝒐𝒏𝒔𝒄𝒊𝒆𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒖𝒏𝒆 𝒄𝒆𝒓𝒕𝒂𝒊𝒏𝒆 𝒎𝒆𝒔𝒖𝒓𝒆.» Les mots d'Eckhart frappent par leur ressemblance lorsque, à propos de ce «𝒒𝒖𝒆𝒍𝒒𝒖𝒆 𝒄𝒉𝒐𝒔𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍'𝒂̂𝒎𝒆 𝒅'𝒐𝒖̀ 𝒆́𝒎𝒂𝒏𝒆𝒏𝒕 𝒍𝒂 𝒄𝒐𝒏𝒏𝒂𝒊𝒔𝒔𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒆𝒕 𝒍'𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓», il écrit : «𝒄𝒆𝒍𝒂 𝒏𝒆 𝒑𝒆𝒖𝒕 𝒔𝒂𝒗𝒐𝒊𝒓 𝒒𝒖𝒆 𝒄'𝒆𝒔𝒕 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒒𝒖𝒊 𝒂𝒈𝒊𝒕 𝒆𝒏 𝒍𝒖𝒊 ; 𝒊𝒍 𝒆𝒔𝒕 𝒍𝒖𝒊-𝒎𝒆̂𝒎𝒆 𝒍𝒆 𝒎𝒆̂𝒎𝒆 𝒒𝒖𝒊 𝒋𝒐𝒖𝒊𝒕 𝒅𝒆 𝒍𝒖𝒊-𝒎𝒆̂𝒎𝒆, 𝒄𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒍𝒆 𝒇𝒂𝒊𝒕 𝑫𝒊𝒆𝒖.» La racine de cet accord est probablement à situer dans l'idée, chez lui comme chez elle, que tout amour authentique qui passe par nous n'est pas amour de nous pour Dieu, ni même amour de nous en Dieu, mais amour de Dieu par nous, amour de Dieu qui emprunte notre être comme occasion de son activité d'amour, chaque fois que nous nous sommes suffisamment vidés de nous-mêmes pour Lui ouvrir le passage. «𝑫𝒂𝒏𝒔 𝒍'𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓 𝒗𝒓𝒂𝒊, 𝒄𝒆 𝒏'𝒆𝒔𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒒𝒖𝒊 𝒂𝒊𝒎𝒐𝒏𝒔 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒍𝒉𝒆𝒖𝒓𝒆𝒖𝒙 𝒆𝒏 𝑫𝒊𝒆𝒖, 𝒄'𝒆𝒔𝒕 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒆𝒏 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒒𝒖𝒊 𝒂𝒊𝒎𝒆 𝒍𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒍𝒉𝒆𝒖𝒓𝒆𝒖𝒙», écrit Weil. Et dans La pesanteur et la grâce : «𝑨̀ 𝒎𝒆𝒔𝒖𝒓𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒋𝒆 𝒅𝒆𝒗𝒊𝒆𝒏𝒔 𝒓𝒊𝒆𝒏, 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒔'𝒂𝒊𝒎𝒆 𝒂̀ 𝒕𝒓𝒂𝒗𝒆𝒓𝒔 𝒎𝒐𝒊. (...) 𝑰𝒍 𝒔𝒖𝒇𝒇𝒊𝒓𝒂𝒊𝒕 𝒒𝒖𝒆 𝒋'𝒂𝒊𝒆 𝒔𝒖 𝒎𝒆 𝒓𝒆𝒕𝒊𝒓𝒆𝒓 𝒅𝒆 𝒎𝒂 𝒑𝒓𝒐𝒑𝒓𝒆 𝒂̂𝒎𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒒𝒖𝒆 𝒄𝒆𝒕𝒕𝒆 𝒕𝒂𝒃𝒍𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒋’𝒂𝒊 𝒅𝒆𝒗𝒂𝒏𝒕 𝒎𝒐𝒊 𝒂𝒊𝒕 𝒍'𝒊𝒏𝒄𝒐𝒎𝒑𝒂𝒓𝒂𝒃𝒍𝒆 𝒇𝒐𝒓𝒕𝒖𝒏𝒆 𝒅'𝒆̂𝒕𝒓𝒆 𝒗𝒖𝒆 𝒑𝒂𝒓 𝑫𝒊𝒆𝒖. 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒏𝒆 𝒑𝒆𝒖𝒕 𝒂𝒊𝒎𝒆𝒓 𝒆𝒏 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒒𝒖𝒆 𝒄𝒆 𝒄𝒐𝒏𝒔𝒆𝒏𝒕𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒂̀ 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒓𝒆𝒕𝒊𝒓𝒆𝒓 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒍𝒆 𝒍𝒂𝒊𝒔𝒔𝒆𝒓 𝒑𝒂𝒔𝒔𝒆𝒓, 𝒄𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒍𝒖𝒊-𝒎𝒆̂𝒎𝒆, 𝒄𝒓𝒆́𝒂𝒕𝒆𝒖𝒓, 𝒔'𝒆𝒔𝒕 𝒓𝒆𝒕𝒊𝒓𝒆́ 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒍𝒂𝒊𝒔𝒔𝒆𝒓 𝒆̂𝒕𝒓𝒆.» Quant à Eckhart : «𝑸𝒖'𝒊𝒍 𝒍𝒂𝒊𝒔𝒔𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒐𝒑𝒆́𝒓𝒆𝒓 𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒊 𝑳𝒖𝒊 𝒑𝒍𝒂𝒊̂𝒕 ; 𝒍𝒖𝒊 𝒏'𝒂 𝒒𝒖'𝒂̀ 𝒓𝒆𝒔𝒕𝒆𝒓 𝒗𝒊𝒅𝒆.»
Il s'agit, pour reprendre la formule employée par Weil dans La Connaissance surnaturelle, de se vider de «𝒄𝒆𝒔 𝒂𝒏𝒊𝒎𝒂𝒖𝒙 𝒒𝒖𝒊 𝒆𝒏 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒄𝒓𝒊𝒆𝒏𝒕 "𝒎𝒐𝒊"», et cette idée culmine sans doute - similitude de plus avec Eckhart - dans la pensée selon laquelle toute quête personnelle du salut consistant à vouloir activement plaire à Dieu a pour effet immédiat de nous séparer de Lui : «𝑰𝒍 𝒚 𝒂 𝒓𝒆́𝒆𝒍𝒍𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒋𝒐𝒊𝒆 𝒑𝒂𝒓𝒇𝒂𝒊𝒕𝒆 𝒆𝒕 𝒊𝒏𝒇𝒊𝒏𝒊𝒆 𝒆𝒏 𝑫𝒊𝒆𝒖, écrit Weil. 𝑴𝒂 𝒑𝒂𝒓𝒕𝒊𝒄𝒊𝒑𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒏𝒆 𝒑𝒆𝒖𝒕 𝒓𝒊𝒆𝒏 𝒂𝒋𝒐𝒖𝒕𝒆𝒓, 𝒎𝒂 𝒏𝒐𝒏-𝒑𝒂𝒓𝒕𝒊𝒄𝒊𝒑𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒓𝒊𝒆𝒏 𝒐̂𝒕𝒆𝒓 𝒂̀ 𝒍𝒂 𝒓𝒆́𝒂𝒍𝒊𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝒄𝒆𝒕𝒕𝒆 𝒋𝒐𝒊𝒆 𝒑𝒂𝒓𝒇𝒂𝒊𝒕𝒆 𝒆𝒕 𝒊𝒏𝒇𝒊𝒏𝒊𝒆. 𝑫𝒆̀𝒔 𝒍𝒐𝒓𝒔, 𝒒𝒖𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒊𝒎𝒑𝒐𝒓𝒕𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒋𝒆 𝒅𝒐𝒊𝒗𝒆 𝒚 𝒂𝒗𝒐𝒊𝒓 𝒑𝒂𝒓𝒕 𝒐𝒖 𝒏𝒐𝒏 ? 𝑼𝒏𝒆 𝒊𝒎𝒑𝒐𝒓𝒕𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒏𝒖𝒍𝒍𝒆. 𝑪𝒆𝒖𝒙 𝒒𝒖𝒊 𝒅𝒆́𝒔𝒊𝒓𝒆𝒏𝒕 𝒍𝒆𝒖𝒓 𝒔𝒂𝒍𝒖𝒕 𝒏𝒆 𝒄𝒓𝒐𝒊𝒆𝒏𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒗𝒓𝒂𝒊𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒂̀ 𝒍𝒂 𝒓𝒆́𝒂𝒍𝒊𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒋𝒐𝒊𝒆 𝒆𝒏 𝑫𝒊𝒆𝒖.» Et chez Eckhart : «𝑪𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒓𝒆𝒄𝒉𝒆𝒓𝒄𝒉𝒆 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒔𝒆𝒔 𝒐𝒑𝒆́𝒓𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏𝒔, 𝒄𝒆 𝒏'𝒆𝒔𝒕 𝒑𝒐𝒊𝒏𝒕 𝒒𝒖𝒆 𝒍'𝒉𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒂𝒊𝒕 𝒆𝒏 𝒍𝒖𝒊 𝒖𝒏 𝒍𝒊𝒆𝒖 𝒐𝒖̀ 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒑𝒖𝒊𝒔𝒔𝒆 𝒐𝒑𝒆́𝒓𝒆𝒓 ; 𝒄𝒂𝒓 𝒊𝒍 𝒏'𝒚 𝒂 𝒗𝒓𝒂𝒊𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒑𝒂𝒖𝒗𝒓𝒆𝒕𝒆́ 𝒆𝒏 𝒆𝒔𝒑𝒓𝒊𝒕 𝒒𝒖𝒆 𝒍𝒐𝒓𝒔𝒒𝒖𝒆 𝒍'𝒉𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒆𝒔𝒕 𝒂̀ 𝒕𝒆𝒍 𝒑𝒐𝒊𝒏𝒕 𝒍𝒊𝒃𝒆́𝒓𝒆́ 𝒅𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒆𝒕 𝒅𝒆 𝒕𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒔𝒆𝒔 œ𝒖𝒗𝒓𝒆𝒔 𝒒𝒖𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖, 𝒔'𝑰𝒍 𝒗𝒐𝒖𝒍𝒂𝒊𝒕 𝒐𝒑𝒆́𝒓𝒆𝒓 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍'𝒂̂𝒎𝒆, 𝒅𝒆𝒗𝒓𝒂𝒊𝒕 𝒆̂𝒕𝒓𝒆 𝑳𝒖𝒊-𝒎𝒆̂𝒎𝒆 𝒍𝒆 𝑳𝒊𝒆𝒖 𝒅𝒆 𝒔𝒐𝒏 𝒐𝒑𝒆́𝒓𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏.» Alors vient l'intuition mystique suprême, commune à Eckhart et Weil, qui probablement est à situer au cœur de ce qui valut à l'un sa condamnation pontificale, à la seconde d'être immédiatement vue comme une hétérodoxe par un bon nombre des religieux avec qui elle prit contact durant sa période de crise mystique : à savoir que, par les tréfonds de notre être, nous n'avons pas simplement 𝖕𝖆𝖗𝖙 à l'essence de Dieu... nous 𝖘𝖔𝖒𝖒𝖊𝖘 Dieu. Maître Eckhart est d'une limpidité sans équivoque quant à cette intuition : «𝑷𝒐𝒖𝒓 𝒂𝒖𝒕𝒂𝒏𝒕 𝒒𝒖'𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒆𝒔𝒕 𝒆𝒏 𝑫𝒊𝒆𝒖, 𝒍𝒂 𝒎𝒐𝒊𝒏𝒅𝒓𝒆 𝒄𝒓𝒆́𝒂𝒕𝒖𝒓𝒆 𝒂 𝒂𝒖𝒕𝒂𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒓𝒊𝒄𝒉𝒆𝒔𝒔𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝑳𝒖𝒊. 𝑬𝒕 𝒔'𝒊𝒍 𝒔𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒗𝒂𝒊𝒕 𝒒𝒖'𝒖𝒏𝒆 𝒎𝒐𝒖𝒄𝒉𝒆 𝒆𝒖̂𝒕 𝒖𝒏 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒍𝒍𝒆𝒄𝒕 𝒆𝒕 𝒒𝒖'𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒇𝒖̂𝒕 𝒄𝒂𝒑𝒂𝒃𝒍𝒆 𝒅𝒆 𝒄𝒉𝒆𝒓𝒄𝒉𝒆𝒓 𝒊𝒏𝒕𝒆𝒍𝒍𝒆𝒄𝒕𝒖𝒆𝒍𝒍𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒍'𝒂𝒃𝒊̂𝒎𝒆 𝒆́𝒕𝒆𝒓𝒏𝒆𝒍 𝒅𝒆 𝒍'𝒆𝒔𝒔𝒆𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒊𝒗𝒊𝒏𝒆 𝒅'𝒐𝒖̀ 𝒆𝒍𝒍𝒆 𝒆𝒔𝒕 𝒔𝒐𝒓𝒕𝒊𝒆, 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒅𝒊𝒓𝒊𝒐𝒏𝒔 : 𝑫𝒊𝒆𝒖, 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒕𝒐𝒖𝒕 𝒄𝒆 𝒒𝒖'𝑰𝒍 𝒆𝒔𝒕 𝒆𝒏 𝒕𝒂𝒏𝒕 𝒒𝒖𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖, 𝒏𝒆 𝒑𝒐𝒖𝒓𝒓𝒂𝒊𝒕 𝒎𝒆̂𝒎𝒆 𝒑𝒂𝒔 𝒄𝒐𝒎𝒃𝒍𝒆𝒓 𝒏𝒊 𝒔𝒂𝒕𝒊𝒔𝒇𝒂𝒊𝒓𝒆 𝒄𝒆𝒕𝒕𝒆 𝒎𝒐𝒖𝒄𝒉𝒆. (...) 𝑪𝒂𝒓 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒄𝒆𝒕𝒕𝒆 𝒑𝒆𝒓𝒄𝒆́𝒆 𝒋𝒆 𝒓𝒆𝒄̧𝒐𝒊𝒔 𝒄𝒆𝒄𝒊 : 𝒒𝒖𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒆𝒕 𝒎𝒐𝒊, 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒔𝒐𝒎𝒎𝒆𝒔 𝒖𝒏. 𝑳𝒂̀ 𝒋𝒆 𝒔𝒖𝒊𝒔 𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒋'𝒆́𝒕𝒂𝒊𝒔 𝒆𝒕 𝒍𝒂̀ 𝒋𝒆 𝒏𝒆 𝒄𝒓𝒐𝒊̂𝒔 𝒏𝒊 𝒏𝒆 𝒅𝒆́𝒄𝒓𝒐𝒊𝒔, 𝒄𝒂𝒓 𝒍𝒂̀ 𝒋𝒆 𝒔𝒖𝒊𝒔 𝒖𝒏𝒆 𝒄𝒂𝒖𝒔𝒆 𝒊𝒎𝒎𝒐𝒃𝒊𝒍𝒆, 𝒒𝒖𝒊 𝒇𝒂𝒊𝒕 𝒎𝒐𝒖𝒗𝒐𝒊𝒓 𝒕𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒄𝒉𝒐𝒔𝒆𝒔.» Simone Weil ne va pas moins loin dans La Connaissance surnaturelle lorsque, au terme d'une prière à l'intensité à peu près sans équivalent, qui la voit implorer Dieu que son existence personnelle soit anéantie jusqu'à l'idiotie complète, la sénilité de l'esprit et la paralysie du corps, elle demande, non à avoir 𝖕𝖆𝖗𝖙 à l'eucharistie, mais à être 𝖋𝖆𝖎𝖙𝖊 eucharistie : «𝑸𝒖𝒆 𝒄𝒆𝒕 𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓 𝒔𝒐𝒊𝒕 𝒖𝒏𝒆 𝒇𝒍𝒂𝒎𝒎𝒆 𝒂𝒃𝒔𝒐𝒍𝒖𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒆́𝒗𝒐𝒓𝒂𝒏𝒕𝒆 𝒅'𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓 𝒅𝒆 𝑫𝒊𝒆𝒖 𝒑𝒐𝒖𝒓 𝑫𝒊𝒆𝒖. 𝑸𝒖𝒆 𝒕𝒐𝒖𝒕 𝒄𝒆𝒍𝒂 𝒔𝒐𝒊𝒕 𝒂𝒓𝒓𝒂𝒄𝒉𝒆́ 𝒂̀ 𝒎𝒐𝒊, 𝒅𝒆́𝒗𝒐𝒓𝒆́ 𝒑𝒂𝒓 𝑫𝒊𝒆𝒖, 𝒕𝒓𝒂𝒏𝒔𝒇𝒐𝒓𝒎𝒆́ 𝒆𝒏 𝒔𝒖𝒃𝒔𝒕𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒖 𝑪𝒉𝒓𝒊𝒔𝒕, 𝒆𝒕 𝒅𝒐𝒏𝒏𝒆́ 𝒂̀ 𝒎𝒂𝒏𝒈𝒆𝒓 𝒂̀ 𝒅𝒆𝒔 𝒎𝒂𝒍𝒉𝒆𝒖𝒓𝒆𝒖𝒙 𝒅𝒐𝒏𝒕 𝒍𝒆 𝒄𝒐𝒓𝒑𝒔 𝒆𝒕 𝒍'𝒂̂𝒎𝒆 𝒎𝒂𝒏𝒒𝒖𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒕𝒐𝒖𝒕𝒆𝒔 𝒍𝒆𝒔 𝒆𝒔𝒑𝒆̀𝒄𝒆𝒔 𝒅𝒆 𝒏𝒐𝒖𝒓𝒓𝒊𝒕𝒖𝒓𝒆. 𝑬𝒕 𝒒𝒖𝒆 𝒎𝒐𝒊, 𝒋𝒆 𝒔𝒐𝒊𝒔 𝒖𝒏 𝒑𝒂𝒓𝒂𝒍𝒚𝒔𝒆́, 𝒂𝒗𝒆𝒖𝒈𝒍𝒆, 𝒔𝒐𝒖𝒓𝒅, 𝒊𝒅𝒊𝒐𝒕 𝒆𝒕 𝒈𝒂̂𝒕𝒆𝒖𝒙.» 𝔹𝕚𝕖𝕟 𝕖𝕟𝕥𝕖𝕟𝕕𝕦, 𝕛𝕖 𝕤𝕦𝕚𝕤 𝕒𝕓𝕤𝕠𝕝𝕦𝕞𝕖𝕟𝕥 𝕡𝕣𝕖𝕟𝕖𝕦𝕣 𝕖𝕥 𝕔𝕦𝕣𝕚𝕖𝕦𝕩 𝕕𝕖 𝕥𝕠𝕦𝕥𝕖 𝕣𝕖́𝕤𝕖𝕣𝕧𝕖, 𝕣𝕖𝕞𝕒𝕣𝕢𝕦𝕖, 𝕠𝕓𝕛𝕖𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 𝕢𝕦𝕖 𝕧𝕠𝕦𝕤 𝕡𝕠𝕦𝕣𝕣𝕚𝕖𝕫 𝕒𝕧𝕠𝕚𝕣 𝕒̀ 𝕗𝕠𝕣𝕞𝕦𝕝𝕖𝕣 𝕗𝕒𝕔𝕖 𝕒̀ 𝕔𝕖 𝕣𝕒𝕡𝕡𝕣𝕠𝕔𝕙𝕖𝕞𝕖𝕟𝕥 !
Je déguste chaque pensee de Maître Eckhart et je vous remercie pour le travail formidable abattu. Aussi je suis particulièrement friand de votre analyse et du parallèle avec des pensées d'éminents philosophes. J'ai découvert l'amour du Christ par Simone Veil , chose dont j'ignorais tout. Merci
Vous postez des videos et Vous partagez des explications en plus. C'est rare içi. Quant à moi je ne connaissais pas Simone Weil jusqu'à ce que j'arrive dans vos commentaires. Mille merci !
Absolument. La pauvreté telle que la définit ici Eckhart, comme oubli de soi et retour à l’incréé, correspond tout à fait à la quête bouddhiste de la vacuité. D’ailleurs, Maître Eckhart est, à ma connaissance, lu parmi bon nombre de bouddhistes, et sa doctrine pourrait faire aisément écho à tous les points essentiels du Mahāyanā.
Bonjour, je n'ai pas la main dessus. Je ne touche pas un centime avec ces vidéos, c'est RU-vid qui met de force des quantités de publicité délirantes partout, et je suis bien d'accord, c'est étouffant. Je ne peux que vous recommander d'installer uBlockOrigin sur votre navigateur, cela fonctionne encore très bien chez moi et me permet de naviguer sur RU-vid sans être harcelé.
Cela a été jugé hérétique par les autorités catholiques de son temps. Certains catholiques aujourd’hui le considèrent comme un panthéiste. (Autant dire : comme un athée.) Mais la chose importe assez peu. La seule question que doive se poser une âme qui aime Dieu, si elle admet que Dieu est Vérité, c’est : en y appliquant toute votre attention, ce qui dit l’auteur apparaît-il à votre intelligence et votre cœur comme conforme à la vérité ?
Que jésus aie dit ça ou pas, là n'est pas la question... Que Maitre Eckhart soit un hérétique n' à de sens que pour les historiens de l'Eglise. Que ces (ses) propos fasses sens chez vous et vous serez vous-même Christ...
